Jean-Pierre, en quelle année avez-vous décidé de vous lancer avec votre épouse dans des oeuvres magistrales, et uniques ?
Depuis toujours, avec Michell, et chacun de son côté, nous avons créé des oeuvres magistrales dans des domaines différents.
Nous avons toujours eu le goût des pièces importantes. Seules des contingences matérielles, de dimensions, de manipulations, de poids, d’outillages ou plus simplement de moyens, ont limité nos ambitions…
Mais l’union fait la force ! Depuis notre rencontre, nous avons résolu ces problèmes, inspirés par le lieu merveilleux où nous vivons et travaillons : certains matins, la brume qui recouvre la vallée jusqu’au pied des remparts de notre demeure évoque les gravures de Gustave Doré pour « Le Paradis perdu » de John Milton. Certains soirs, sur les monts d’Auvergne, les couchers de soleil sont réellement… le Paradis perdu !
Vos oeuvres marient science et poésie, deux univers quasi antinomiques. Lequel fait le plus souvent allégeance à l’autre ?
Nos oeuvres, pour la plupart animées, éclairées, sonorisées et programmées, utilisent naturellement les techniques les plus récentes. Ces mécanismes sont généralement invisibles au sein de l’oeuvre, comme une machine qui ne révèle que son action mais pas les moyens de cette action !
Nous cherchons, par ces moyens, à créer de nouvelles sensations en accord avec la forme contemporaine de notre civilisation.
La perception scientifique de nos oeuvres est souvent volontaire. Elle accompagne notre démarche artistique : une démonstration de ce que pourrait être un certain futur, une mise en garde... Pour le pire ou le meilleur !
Les sculptures évoquent ce nouveau monde où la technique est insidieusement partout, tellement intégrée à notre vie que plus personne ne sait ni ce qu’elle est, ni où elle est, laissant libre cours aux « Grands Prêtres » d’en faire des armes de contrôle !
Aucun des univers de la science et de la poésie ne fait allégeance à l’autre :
il y a de la poésie dans la science et vice versa…
Sans compter que ça dépend des jours !
Combien de temps pour une oeuvre, du concept à la réalisation finale ?
Le temps n’a pas d’importance… Ce n’est pas dans la dimension ou l’apparente complexité des mécanismes que se compte le temps. A un moment donné l’oeuvre nous paraîtra « aboutie », elle quittera alors notre esprit, elle ne sera plus notre obsession, elle ne nous appartiendra plus physiquement. Elle sera pour le regard et le plaisir des autres, des amateurs…
Une oeuvre peut prendre de quelques dizaines d’heures à plusieurs milliers d’heures…
Comment naît un robot ? Sous X ? Avec une mère porteuse ? Comment lui créer un ADN ? Y a-t-il un vertige de la feuille blanche ?
Intéressante question ! Un robot, chez nous, naît obligatoirement avec un papa et une maman. Contrairement aux humains de base, la maman n’est pas forcément prépondérante. Ici c’est tantôt l’un, tantôt l’autre… La maman (Michell) apporte généralement l’idée, le concept, la forme, l’essence de l’oeuvre… Le papa, c’est-à-dire moi, forge la tôle, monte les mécanismes, connecte les circuits, et intègre une poétique qui lui est naturelle. Il est à noter que généralement les humains se mettent à plusieurs (voire beaucoup), pour faire naître un robot, ce qui crée des êtres mécaniquement névrosés et sans réelles racines, juste un sigle ou une marque de fabrique ! Chez nous les robots ont une âme, leur ADN n’est pas inscrit au fond de leurs cellules, mais par la rémanence de leur imprégnation artistique…
Le vertige de la feuille blanche, c’est plutôt le vertige de la force du concept, provoquant une vision globale, qui entraîne tout le processus de création: la forme, les matériaux et la technologie étant la plupart du temps au service de l’idée.
La nature même de vos créations ne vous éloigne-telle pas du monde réel? Demeurez-vous des « bons vivants » ?
Pour ce qui est d’être « bons » nous ne sommes pas sûrs que ce soit une réelle qualité, hors le domaine culinaire ! (rires). Nos créations sont le reflet de notre univers. C’est par elles que nous tentons de communiquer, c’est par elles que nous exprimons notre vision. Le monde réel ne veut pas dire grand-chose, il est différent pour chacun d’entre nous, il est à la fois ce que nous sommes, ce que nous en percevons et ce que nous en faisons : bon ou mauvais selon les archétypes, les règles, les lois… et les hommes.
Nous sommes ainsi, au gré de nos envies, dans le monde ou hors du monde. En créant nos oeuvres, nous sommes dans une réalité parallèle qui se rencontre à l’infini avec d’autres réalités.
Travailler en couple, c’est plutôt fusion, effusions, confusion, ou complications ?
Comme nous travaillons ensemble depuis plus de vingt ans, nous sommes passés par toutes ces expériences, plusieurs fois, dans l’ordre, le désordre ou des ordres différents ! (sourires)
Est-ce qu’une activité aussi particulière que la vôtre est également soumise aux secousses économiques, à la crise ?
Nous créons des oeuvres physiquement inutiles, intellectuellement à usage restreint ; « la crise » est un terme générique qui s’applique à tous, nous n’échappons pas à la règle, mais la crise n’est pas la même pour tous !
Vous avez fait quelques grandes expositions, en France et à l’étranger...
Le seul réel intérêt des expositions est pour nous de discerner au travers de l’autre, quel qu’il soit, une infime lueur... Nous entrebâillons une porte, pour que le visiteur, comme Alice, accède à notre territoire ou simplement y jette un regard… Lorsqu’il y pénètre réellement et s’y attarde, nous sommes heureux.
Travaillez-vous actuellement sur un concept ? Un projet ? Une commande ?
Nous n’aimons pas parler du travail en cours. Parler d’une oeuvre en gestation c’est en révéler l’essence alors qu’elle est sans cesse modifiée...
Vos acheteurs, comme vos oeuvres, sont un peu hors norme. Comment les rencontrez-vous ?
Ont-ils, au fil du temps, un profil type ? Une nationalité ?
Nos acheteurs sont véritablement hors norme ! C’est le seul point commun qu’on peut leur concéder. Ils deviennent généralement nos amis par l’implication réciproque entre la création de l’oeuvre (souvent très longue) et leurs désirs. Les oeuvres se réalisant par une osmose profonde entre notre imaginaire et leurs rêves… Ces amateurs viennent le plus souvent par le bouche-à-oreille, plus particulièrement de pays lointains !
Existe-t-il un client insouciant, ou amnésique, qui n’est jamais venu chercher une oeuvre commandée ?
Seul un client mort aurait pu le faire ! (rires)
Entre deux créations, combien de temps de break ou d’inertie peut-il s’écouler ?
Lors de la création et de la réalisation d’une sculpture ou d’un automate, nous nous impliquons totalement, souvent quinze heures par jour ! L’oeuvre finie, il se crée un grand vide qui peut durer plusieurs semaines, cela dépend de la difficulté de l’oeuvre et de notre implication dans ce projet. Cela est intellectuellement indispensable pour que l’élaboration de l’oeuvre suivante n’entre pas dans un "système" répétitif où chaque oeuvre ressemblerait à la précédente, de ce fait nous sommes professionnellement « inclassables » !
Puisez-vous votre inspiration dans les livres ? L’architecture ? Ou l’alchimie ? Quels sont vos initiateurs...?
Notre bibliothèque est conséquente, riche en science et science-fiction… Nul n’invente complètement, surtout dans le domaine de l’art ou de la science, tout découle de faits précédents, d’une éducation, d’une sensibilité. Au début, chacun de nous a eu ses préférences, ses «initiateurs d’inspiration » : Magritte et Henry Moore pour Michell, Salvador Dali et l’univers étrange de Savinien Cyrano de Bergerac pour moi... Mais très vite la difficulté a été d’oublier les modèles.
La bibliothèque est là pour les loisirs, la documentation, l’esthétique, l’imagerie et l’odeur du papier. !
Certaines de vos oeuvres semblent sorties des studios de Lucas, Spielberg, Cameron ou Besson, avez-vous déjà travaillé pour le cinéma ?
Nous avons travaillé pour des gens du cinéma, pour leur plaisir personnel, pour leurs collections…
Mais par d’étranges concours de circonstances indépendants de nos volontés réciproques, nous n’avons pas pu travailler directement « pour » le cinéma !
Combien de pièces de métal différentes sur une création ? Quel pourcentage en créez-vous, en achetez-vous toutes faites ?
A part les motorisations, les composants électroniques et les matériaux bruts, nous fabriquons pratiquement tout nous-mêmes. Certaines créations comportent un nombre considérable de pièces distinctes, le «Musée Flottant » en forme de cristal géant est composé de plus de neuf cents cubes d’acier tous différents.
Pour des oeuvres de très grandes dimensions, je dessine tous les plans et nous sous-traitons, contrôlons et participons à la fabrication de l’oeuvre au sein des entreprises. Nous n’avons pas les moyens physiques et matériels de travailler et manipuler des structures monumentales de plusieurs tonnes !
Avez-vous déjà refusé le challenge d’une création pour un client un peu extravagant ?
Jamais, même pour des challenges dits a priori « impossibles », mais il est arrivé que des clients très excessifs, n’ayant pas pris conscience de l’importance d’un projet, abandonnent rapidement !
Parler d’argent est vulgaire, mais pouvez-vous donner une fourchette de prix pour un automate, du plus simple au plus complexe ?
Les prix sont fonction de l’importance de l’oeuvre, tant sur le plan de la recherche, des matériaux employés et du temps de réalisation. Ils vont de quelques milliers d’euros pour un automate, à plusieurs centaines de milliers d’euros pour des oeuvres exceptionnelles et monumentales...
Interview de ERIC VINCENT.