L’œil de Jean-Pierre Hartmann pétille d’une lueur qui a banni le rébarbatif et inspire la réjouissance enthousiaste mais aussi quelquefois une gravité prémonitoire.
Comme référence bibliographique, il n’hésite pas à revendiquer son aspiration d’enfant. “J’achète Spirou depuis 1948.”
A six ans, ce petit parisien qui grandît sur les bords de la Marne, du coté de Nogent, façonne son imagination dans les bulles et les dessins de la B.D. A cinquante ans, en 1992, il fabrique un amusant clone de Marsupilami, en métal,avec articulations en cuir. Pour qu’il vive, douze moteurs programmés, un cycle aléatoire, lui font remuer les oreilles, rouler des yeux. La queue, longue de trois mètres cinquante, se noue et se dénoue tandis qu’il tape du pied. Sa voix qui répète son inimitable cri de guerre est celle de Franquin, le créateur de ce personnage de notre bestiaire moderne.
Son imaginaire d’une fécondité extraordinaire trouve à son service une palette de talents d’un registre étendu., Le concepteur excentrique sait aussi fabriquer. ((((Tour à tour, ébéniste, motoriste, électrotechnicien, ferblantier, doreur, sculpteur artisan, concepteur, bricoleur de haut vol, il produit des objets de l’inutile destinés à transporter du rêve. )))).
Dès son plus jeune âge, féru de physique amusante, il invente puis fabrique des fusées, bricole dans sa cave des dinosaures qui marchent, des ptérodactyles qui volent.
Sur les conseils d’un cousin de la famille qui dirigeait un bureau d’étude et a qui l’on confiait son aptitude au dessin, il suit les cours de l’école professionnelle de dessin industriel puis l’école des Arts décoratifs. “ En quatrième année, j’ai eu comme professeur, Roger Talon, c’est lui qui m’a donné l’esprit. ” confie-t-il en se rappelant ses expériences professionnelles.
Des premières études de design industriel pour le futur TGV en passant le graphisme, le design et l’architecture de décor, il aboutit à une fracture professionnelle radicale. “ A partir de 1973, je me suis mis à mon compte pour faire mes petits jeux de l’imaginaire. ” Il fabrique des centaines de ces petits automates, de ces manèges pour collectionneurs, des robots pour enfants d’émirs, des Bugattis miniatures pour enfants de riches avec des calculateurs de bord pour faire fonctionner les moteurs. Peu importe le temps pour les fabriquer. D’ailleurs, en consultant ses archives et les articles de presse de l’époque, il déplore le sensationnel des titres des journaux qui qualifient ses objets : “ Les jouets les plus chers du monde ”. Il aurait préféré que l’on retienne ses incalculables heures de travail ou bien qu’ils s’arrêtent sur leur seule féerie.
En 1988, il rencontre, Michell dont l’activité de sculpteur infléchira son parcours personnel et professionnel. Elle deviendra sa femme en même temps qu'elle donnera une dimension plus plastique et conceptuelle à ses créations. “ On utilise la technique dans le but de donner des sensations. On utilise toutes les techniques modernes que cela soit pour le mouvement avec des automates, des vérins, l’éclairage par fibre optique, les programmes informatiques, les sons numériques.
”Jean-Pierre Hartmann illustre son propos en tapotant l’énorme tête de dragon en fibre de carbone qui orne un coin de son escalier. Ce prototype a servi à la mise au point d’une sculpture monumentale qui donne depuis le printemps 1998, un spectacle mouvementé en façade de la Maison de la magie à Blois (Loir-et-Cher). Une hydre à six têtes, cachée derrière les fenêtres de cette maison bourgeoise, sort toutes les heures. Rugissements, cris, musique, fumée quand le budget le permet, constitue un ballet incongru de sculpture. Pour bien s’inscrire dans un courant de l’art moderne, ces automates ont été baptisés, “ analogues ” par Michell et Jean-Pierre Hartmann.
Piloté par un simple Pc qui agit en maître sur sept automates “ esclaves ”, l’ensemble commande six têtes et la queue de cette créature. Soixante-dix vérins, deux cent trente capteurs, régissent un spectacle à la fois surprenant et amusant.
Les dragons sont programmés pour dodeliner de la tête,, bailler, chanter ou rugir en cadence avec la musique. Sur les six dragons, chacun en fait un peu à sa tête. “Chaque dragon possède un programme aléatoire, par exemple le n°2 est plus nerveux que le n°3 par contre le n°5 est plus rêveur. Ensuite, on a créé une cohérence car on s’est rendu compte, quand il n’y avait pas de scénario qu’ils se démenaient comme un paquet de vers de terre, en faisant un peu n’importe quoi. On les a donc programmés.
”Jean-Pierre Hartmann avoue son illettrisme dans le domaine du langage informatique de codage. D’abord, insatisfait par les mouvements saccadés des dragons, il décide de créer un langage propre pour chorégraphier les gesticulations, les chants des dragons. Fait de signes sur de simples portées musicales, les mouvements sont codifiés seconde par seconde par des triangles vers le haut, le bas, en fonction des mouvements des têtes.
Dictés à la volée à l’informaticien, celui-ci les a transposés en code informatique pour produire une chorégraphie numérique.
Artiste, témoin de son temps, il observe les progrès scientifiques avec un esprit un peu dubitatif.
Pour l’exprimer, lors d’une rétrospective au Musée des beaux –arts de Clermont-Ferrand, il invente un robot au comportement impressionnant : “ L’Ordodinateur ”. En position accroupie, cette créature faite d’une armure de circuits imprimés, de lampes et de diodes se dresse du haut de ses deux mètre trente.
Il souffle bruyamment pendant que devant lui six “ clones ” sans bras, vêtus d’une seule cape frappée d’un code barre et d’un numéro, les regards vagues, pendulent immuablement. Explication de texte du concepteur. “ Le grand Ordodinateur est au départ une espèce de chaman qui comme tous les chamans sont des escrocs. C’est lui qui contrôle et dirige une nouvelle race humaine issue du clonage. Les clones eux sont vides, une enveloppe vide, un regard identique. Ainsi, ils peuvent devenir guerriers pour la guerre, travailleurs pour le travail, beaux pour l’amour. ”
Pour aller encore plus loin dans cette prospective visionnaire ou ce pressentiment artistique, Jean-Pierre Hartmann affirme qu’au même titre que les hommes, les robots, clones et autres mutants constitueront eux aussi leur propre mythologie. “Vers l’an 16.000, ils se réuniront au coin de l’âtre atomique et ils se raconteront des histoires d’hommes. ” Pour bien figurer cette croyance, il a fabriqué un robot qui implore à une belle statue de Saint-Michel de lui remettre de l’ordre dans ses circuits imprimés.
L’archange est représenté s’escrimant avec un bouquet de câble dans les mains tentant de réparer le petit robot. “ L’électronique a construit les clones et les robots qui réparent les robots.
Pourquoi, ces mêmes robots n’auraient pas leurs anges, leurs archanges, leurs dragons. ” Comme pour étayer son message, il précise malicieux “ Ce n’est pas une affirmation.”
Mais où s’arrêteront donc ces facéties prophétiques et visionnaires ?
Alain Thomas